(voici une petite nouvelle, que j'avais écrite au moment de la création de Arluhn. Cela vous permettra de mieux vous présenter le personnage et surtout son enfance.)
Il fit mine de humer l’air en plissant ses narines et fronça un peu plus ses maigres sourcils.
Dans la brume hivernale, il distinguait le pâle cercle jaune du soleil qui descendait vers le sol. Un cercle jaune pâle, tel était toujours l’astre du jour qui régnait sur la Matrice Hiver.
Au contraire, la chevelure blonde du jeune garçon se distinguait parfaitement sur l’épais tapis de neige. En été, on pouvait apercevoir quelques arbustes décharnés, comme tordus d’avoir eu trop froid. Ils tendaient des branches épineuses vers le ciel, comme des prisonniers essayant d’atteindre la trappe de leur oubliette.
Mais nous étions au cœur de l’hiver, le froid avait durci la neige et rongeait les peaux nues. C’était une force invisible, une entité maléfique contre laquelle les barbares de la Matrice Hiver devaient toujours lutter dès leur plus jeune âge. Et le jeune Arluhn avait plus que jamais conscience de cette force. Sa peau le brûlait, ses pieds faisaient craquer la neige devenue glace sous chacun de ses pas. Comme pour le ralentir encore, des glaçons s’accrochaient à la fourrure, alourdissant toujours un peu plus ses vêtements.
Mais pour son 7ème hiver, Arluhn ne pouvait se laisser décourager, pas plus qu’il ne pouvait faiblir ! Il devait à tout prix réussir sa première chasse seul.
Le jeune garçon n’était qu’un point isolé dans la montagne et pourtant, il pouvait encore entendre les voix encourageantes de tous les chasseurs du clan et celle de son père, teintée d’une inquiétude mal dissimulée. Il sentait aussi la présence de ses ancêtres, tous ces guerriers morts au combat contre les trolls, déchiquetés par les tigres à dents de sabre, écrasés par les géants des glaces, glacés à tout jamais par le souffle des dragons bleus. Il devinait même que Kubora, celui qui donna son nom à son clan, celui qui mourut en combattant les démons du sud, marchait avec lui, le jaugeant.
Il serra un peu plus fort, comme si cela fut possible, le manche de sa lourde hache de pierre, ses doigts, blanchis de trop serrer, étaient comme collés.
Une légère bise se leva, emportant des flocons cristallins. Une poussière scintillante s’éleva doucement dans les airs. Le soleil continuait de descendre derrière les montagnes, Arluhn sentait la peur le tancer, le provoquer, espérant trouver la faille qui lui permettrait de le gangrener. Ce n’est pas la mort qui faisait peur à Arluhn, mais l’échec. Mourir en échouant… Il ne rejoindrait alors jamais ses ancêtres.
Le jeune barbare pensa que sa mère lui aurait conseillé de rentrer, car la nuit est le domaine de la mort. Mais le garçon n’avait jamais connu sa mère. Il secoua la tête, chassant les flocons accrochés à sa chevelure blonde, et s’enfonça dans la nuit à la recherche de sa proie.
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C’est un vieillard qui fut aperçu à quelques miles du village, au petit matin, tant le gel avait fait son œuvre jusqu’aux cils d’Arluhn. Il était transi de froid et marchait sans vraiment penser quand il entendit les cris de soulagement et de joie. Des bras solides le saisir pour le porter, il voulut demander qu’on n'oublie pas de prendre sa proie, la preuve de sa réussite, mais ses lèvres étaient collées.
Il comprit qu’il était arrivé quand il entendit les clameurs et les pleurs de soulagement des femmes. Il était vivant, et il avait réussi ! Il sombra dans l’inconscience en souriant.
***
“Es-tu complètement idiot pour passer une nuit dehors tout seul?”
Une fois le soulagement passé, c’est la colère qui s’exprimait dans les dures paroles de son père.
“Tu es le fils du chef du clan des Kubora ! Cela signifie courage ! Pas folie ! Se mettre en péril ainsi n’est pas digne d’un guerrier ! Tu devras t’en souvenir !”
Arluhn, à peine remis, avait encore les doigts enrubannés de bandages en tissu.
“Mais… Père… L’épreuve, je devais la réussir !”
Comme surpris par la réponse, Vanik se tourna vers son fils.
“Arluhn, le courage n’est pas une chose dont on se sert à la légère ! Il doit permettre de soulever des montagnes, pas d’accoucher de chenille !”
Arluhn regarda son père sans apparemment comprendre.
“On ne passe pas la nuit dehors uniquement pour ça !” rugit son père.
“Et on tape sur la tête ! Sinon c’est immangeable !” conclut-il en désignant le lapin, écrabouillé, qui avait tant coûté au jeune barbare.